Le Fonds monétaire international presse le Maroc de passer, sans plus tarder, à la deuxième étape de la flexibilité du Dirham.
Les préalables macroéconomiques sont certes là, mais cette «consigne» du FMI est-elle pour autant justifiée ? Eléments de réponses.
Le Fonds monétaire international (FMI) se montre de plus en plus insistant sur la nécessité pour le Maroc de poursuivre la réforme du régime de change. Dans son dernier rapport sur les perspectives de l’économie marocaine, le FMI est en effet, une fois de plus, revenu à la charge, pressant les autorités du Royaume d’engager la deuxième phase de la flexibilité du Dirham.
Le Fonds «encourage le Maroc à utiliser la fenêtre d'opportunité actuelle pour poursuivre cette réforme», peut-on lire dans ledit rapport daté du 16 juillet 2019.
D’un point de vue purement économique, il est vrai que les prérequis sont là et plaident pour un nouvel élargissement de la bande de fluctuation du Dirham.
Le niveau des réserves de change demeure confortable, avec plus de 5 mois d’importation de biens et services, le budget reste soutenable à moyen terme, le système bancaire est résilient et l’inflation maîtrisée.
En outre, le prix du baril du pétrole se maintient à des niveaux convenables, oscillant depuis des mois entre 60 et 70 dollars. Bref, pour le FMI, les astres sont alignés, et le Maroc doit saisir cette occasion pour franchir le pas.
Cette «consigne» (injonction ?) sera-t-elle pour autant entendue par les autorités marocaines, Bank Al-Maghrib et ministère des Finances en tête ? Pas sûr.
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En juin dernier, lors du dernier point de presse d’Abdellatif Jouahri, wali de Bank Al-Maghrib, ce dernier avait tempéré les ardeurs du Fonds sur la question. Le gouverneur de la Banque centrale avait en effet estimé qu’il n’y avait pas pour le moment de nouveaux éléments qui justifient le passage à la 2ème phase de la réforme du régime de change, et ce malgré l’insistance du FMI. Bank Al-Maghrib préfère «attendre que les éléments précurseurs de chocs soient présents pour passer à la deuxième phase».
«Si les gens ne voient pas les indices de chocs comme la baisse des réserves de change par exemple, ils peuvent croire qu'il y a des fragilités économiques que nous sommes en train d'occulter», avait justifié le wali de BAM. Précisant que «le passage à la deuxième étape de la réforme du régime de change se fera quand il y aura des signes annonciateurs qu'un choc pourrait se produire», comme par exemple un baril du pétrole qui grimperait à plus de 100 dollars, ce qui pèserait lourdement sur le stock de réserves en devise.
Il a ajouté, à ce propos, que l'argumentaire présenté par BAM a amené le FMI à pondérer sa position et que certains de ses dirigeants partagent l'avis de Bank Al-Maghrib.
Ce n’est pas la première fois que BAM retoque le FMI. Ce fut déjà le cas en décembre dernier. Pour la Banque centrale, c’est aussi une manière de montrer qu’il n’y a pas de diktat de la part des institutions de Bretton Woods, et que le Maroc demeure souverain dans ses décisions économiques et monétaires et maître du timing. Un point qui tient particulièrement à cœur à Jouahri, et qui a le don de le faire sortir de ces gonds lorsqu’on affirme le contraire.
Le moment est-il vraiment opportun ?
C’est peu dire que les économistes contactés se montrent peu enthousiastes à l’idée d’élargir la bande de fluctuation à court-terme. C’est le cas de Yasser Temsamani, économiste et chercheur, affilié à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Sciences Po Paris.
«Foncièrement, je ne suis pas contre l’élargissement de la bande de fluctuation du Dirham, puisque cet élargissement permettra, en partie, un transfert de risques de la sphère publique vers la sphère privée pour assumer le risque de change. Cela a du sens», explique-t-il.
«Mais il y a un certain entêtement et enfermement dogmatique de la part du FMI dans cette histoire de flexibilité. Les deux arguments avancés, à savoir l’absorption des chocs externes et les gains de compétitivité, restent à démontrer dans le cas du Maroc : tous les chocs ne sont pas résorbables par la flexibilité. C’est le cas par exemple des chocs monétaires ou des fuites de capitaux, qui peuvent au contraire être aggravés par la flexibilité.
Concernant l’argument des gains de compétitivité, là aussi ce n’est pas très clair pour le Maroc. Il faut déjà avoir des choses à exporter, avoir une production diversifiée, ce qui n’est pas vraiment notre cas», ajoute-t-il.
En résumé, la flexibilité du Dirham doit venir après la construction d’une économie solide et développée, et non le contraire.
Les opérateurs peu emballés
L’aspect opérationnel est une autre dimension importante à prendre en compte avant d’engager toute poursuite de la réforme du régime de change. Il faut en effet que les opérateurs économiques s’approprient le régime de change flexible et assimilent parfaitement les outils de couverture mis à leur disposition avant d'entamer la deuxième phase de la réforme, avait rappelé récemment le gouverneur Jouahri.
Est-ce le cas ?
Pour les grands opérateurs du commerce extérieur, oui. Pour les autres, beaucoup moins. Dans l’ensemble, les opérateurs que nous avons contactés se montrent peu emballés à l’idée d’élargir, sans plus, tarder la bande de fluctuation du Dirham.
Hassan Sentissi, président de l’Association marocaine des exportateurs (Asmex), est, lui, catégorique : «le moment n’est pas propice pour passer à la deuxième phase. Si on le fait maintenant, cela serait une catastrophe», prévient-il ! Selon notre interlocuteur, les opérateurs ont encore besoin de mieux se préparer en amont.
«Actuellement, pour les entreprises, il y a d’autres priorités comme la fiscalité ou les délais de paiement, plutôt que l’élargissement de la bande de fluctuation du Dirham», nous confie un patron d’entreprise.
Enfin, la psychologie des agents économiques joue également un rôle essentiel, voire primordial.
On se rappelle de la cacophonie et de la panique qui avaient précédé, en juin 2017, le lancement de la première phase de la réforme du régime de change.
Des économistes, y compris parmi les plus sérieux, nous promettaient l'apocalypse, tandis que de gros opérateurs s’étaient rués sur l’achat de devises, faisant lourdement chuter les réserves de change.
Jouahri et le FMI l'ont bien compris et sont, concernant ce point en particulier, sur la même longueur d’onde : il est nécessaire de mettre en place une stratégie de communication structurée et soignée vis-à-vis du grand public et des entreprises pour entamer la deuxième phase dans la sérénité.
Source:
FNH.ma